POURQUOI LES FRANÇAIS ONT-ILS TANT PEUR DE LA MONDIALISATION ?
La question est assez simple : puisque tous les spécialistes s’accordent à dire que la mondialisation est, au pire, moins néfaste pour les Français que ce qu'ils en disent, comment pouvons-nous expliquer ce décalage entre perception et réalité ?
Voici quelques pistes de réponse que j’entrevois :
1. Une connaissance approximative du phénomène
Qu’est-ce que la mondialisation ?
La réponse à cette question est tellement vaste que seule une définition très générale peut permettre d’approcher la vérité.
Voici celle que je vous propose :
Processus inachevé et involontaire de montée en puissance, à échelle internationale, des flux d’origine humaine.
Autrement dit la mondialisation concerne, certes les échanges de marchandises ou de capitaux, mais également la culture, la connaissance, les idées, les personnes, etc. Aussi le phénomène est-il aussi ancien que l’activité humaine elle-même, les premières grandes migrations en sont une preuve.
Pourtant, les Français semblent avoir une vision assez différente de la mondialisation car beaucoup plus restreinte. Avons-nous par exemple conscience que, sans ce processus, les grandes découvertes scientifiques resteraient totalement confinées géographiquement ?
Enfin, le caractère involontaire de la mondialisation, semble empêcher toute tentative de restriction du phénomène.
Les Français veulent de la mondialisation sans en avoir pleinement conscience.
2. Les maux sont plus visibles que les bienfaits
Voir une usine fermer en France pour être délocalisée heurte violemment les esprits. On peut difficilement ne pas s’émouvoir lorsque deux cents salariés perdent leur emploi de manière si abrupte. Au contraire, les créations d’emplois imputables à la mondialisation n’attirent que peu l’attention car elles sont beaucoup plus discrètes : des entreprises qui, par exemple, augmentent leur production pour faire face à une explosion de la demande mondiale ou d’autres qui, tirant partie des marges réalisées sur une diminution de leurs coûts de production, développent leur activité.
Enfin, beaucoup d’entre nous ne s’aperçoivent pas, d’une part, que les prix de certains biens baissent grâce à la mondialisation : une comparaison des prix du textile entre aujourd’hui et il y a à peine vingt ans, permet de prendre la mesure du phénomène. Et d’autre part, que nous n’aurions pas accès à la moitié des biens que nous consommons sans mondialisation.
3. L’instrumentalisation politique
Souvent les politiques accusent la mondialisation de tous les maux qui touchent la France et parmi eux le chômage arrive naturellement en tête. Est-il pour autant légitime de rendre la mondialisation responsable d’un niveau d’emploi particulièrement bas alors que la plupart de nos voisins, pourtant soumis aux mêmes concurrents internationaux, s’en sortent mieux ?
Rappelons, en outre, que selon la Direction des Relations Economiques Extérieures, à peine 5% du chômage en France peut-être expliqué par des délocalisations.
Les politiques se servent de la mondialisation pour justifier leur impotence.
4. Théorème de Stopler-Samuelson
Le modèle de commerce international Hecksher-Ohlin-Samuelson (HOS) explique les échanges transnationaux à partir des différences de dotation initiale en facteur de production au sein des pays. Pour faire simple : la France fortement dotée en capital (forte capacité d’investissement et main d’œuvre qualifiée) a intérêt à se spécialiser dans la production de biens dits intensifs en capital (nécessitant d’importants investissements et des travailleurs qualifiés). Au contraire, la Chine, largement dotée en travail (main d’œuvre peu qualifiée et peu coûteuse) tirera davantage de bénéfices d’une spécialisation dans la production de biens intensifs en travail. Dans ce contexte, les deux pays gagneront à se spécialiser et à importer les biens qu’ils ne produiront pas.
Or, le théorème de Stolper-Samuelson nous apprend que (sous certaines hypothèses, ça reste de l’économie !) la rémunération du facteur de production dans lequel un pays est fortement doté a tendance à augmenter, tandis que la rémunération de l’autre facteur va diminuer.
Les Français les moins qualifiés craignent donc naturellement pour leur situation dans un contexte de mondialisation.
5. La mondialisation modifie les rapports de force
Passons sur l’idée que la mondialisation est un jeu à somme positive (i.e. la mondialisation entraîne la création nette de richesses), ceci n’empêche pas que la perception des Français peut en être tout à fait différente.
Petit exemple :
Situation initiale : Pays A a 100 et Pays B a 50
Après mondialisation : Pays A a 120 et Pays B a 100
=> Les deux gagnent mais la « supériorité » de A sur B diminue
Par exemple, il y a trente ans, la France avait un avantage en terme de niveau de vie sur des pays très proches comme l’Italie, la Grèce, le Portugal, l’Espagne ou l’Irlande. Aujourd’hui, la situation est très différente et ces pays ont atteints des niveaux économiques et sociaux très proches du nôtre.
Dans un tel contexte de modification du rapport de force, deux cas de figure se présentent : On peut considérer qu’on vit mieux et se réjouir de voir les habitants d’autres pays vivre mieux également. Ou alors on peut regretter la France du milieu du siècle dernier qui avait un avantage certain sur une grande majorité des autres pays, mais au sein de laquelle on vivait nettement moins bien qu’aujourd’hui.
Alors, et vous, avez-vous peur de la mondialisation ?